Retour sur … l’évolution dans les médias

Par Pascal Tassy  le 18/12/2013 L’Evolution dans les médias, où en est –t-on aujourd’hui ?
Si Pascal nous a fait l’amitié de venir  à l’Université Populaire de Ste Geneviève, c’est qu’il a depuis toujours accordé une grande importance à la diffusion des connaissances dans tous les médias.  Pascal Tassy est professeur au  MNHN. Spécialiste de mastodontes et autres énormes fossiles ,son matériel d’étude n’étant pas constitué d’échantillons de poche le  laboratoire de Paléontologie l’a logé au sous sol, lieu de  recherche que nous avons partagé pendant un très grand nombre d’années. Ainsi pas de transport fatigant des échantillons et pas de risque de faire affaisser les étages de ce vieux bâtiment. Pascal est un paléontologue amateur de rock, de BD  (n’a-t-il pas collaboré à une exposition très originale Comics Park, préhistoires de bande dessinée: au Musée de la bande dessinée à Angoulême, reprise à la Galerie de paléontologie, il y a presque 15 ans ?), d’humour noir (ne l’ai-je pas vu en compagnie de Cavanna?) tout en étant une pointure dans sa discipline. Il a été l’un des premiers à avoir introduit en France la « révolution cladistique». La cladistique l’a mené à la construction d’arbres phylogénétiques et naturellement il s’est intéressé à l’évolution de l’Evolution, et à l’opposition science /non science exacerbée de nos jours par les médias, le sujet de cette conférence. Si on regarde la couverture de journaux récents, par exemple le hors série de Science et Vie «Darwin et la Science» ou le Nouvel Obs «la Bible contre Darwin» on voit que le  nom de Darwin attire les lecteurs dans tous les cas. Quel objet pourrait expliquer l’évolution ? Les fossiles en apportent la preuve, mais faut il encore que leur nature soit reconnue. L’exposé de Pascal rappelle peut-être à nos fidèles participants celui que j’avais fait en  Mai dernier sur  l’«histoire des fossiles». Il reprend l’historique à partir des cabinets de curiosités du XVIIème siècle qui montrent les fossiles sans les expliquer jusqu’aux premières observations au microscope et les premières reconnaissances de fossiles par comparaison d’ammonites avec les nautiles actuels (Hooke). Au XVIIIème siècles Théologie et Naturalisme se mêlent et s’opposent, mais acceptent qu’il y ait eu des espèces disparues, témoins d’un monde perdu, ce que Bernard Palissy avait pressenti sans être suivi dès le milieu du XVIème siècle. Il faut attendre la fin du XVIIIèmeavec Histoire naturelle, générale et Particulière  de Buffon , les atlas et les premières illustrations de  Guettard puis au début du XIXème siècle les travaux de Cuvier sur le mastodonte pour arriver à la notion d’espèces perdues. De Blainville (1822) invente le terme paléontologie. Mais ces savants pensent que les espèces qui se sont succédées dans le temps ont été détruites au cours de catastrophes successives. Ces interprétations, Fixisme et Catastrophisme sont en opposition avec le Lamarckisme contemporain. Lamarck (Philosophie zoologique1808) fut le premier évolutionniste de son temps mais n’ayant  pas réussi à prouver sa théorie ce fut l’autorité de Cuvier et le Catastrophisme qui prévalurent. C’est seulement avec Darwin avec l’«Origine des espèces » (1859) que la théorie de l’évolution prend forme. Lamarck était venu trop tôt : iI n’avait pas les outils que Darwin a eus grâce aux immenses progrès des sciences naturelles au XIXème pour proposer un mécanisme à l’évolution. En France, Gaudry défendit les idées darwiniennes et créa en 1866 au Muséum d’Histoire Naturelle une exposition où les fossiles étaient disposés en files suivant les données du darwinisme. On peut encore voir cette progression à la Galerie de Paléontologie. Darwin pensait que la phylogénie,-étude de l’ évolution des organismes vivants en vue d’établir leur parenté- pouvait être représentée sous la forme d’un arbre de vie, ou arbre évolutif, dans lequel pour la première fois les lignes horizontales tenaient compte du temps et des organismes. Plus d’un siècle plus tard, les biologistes utilisent encore des diagrammes en forme d’arbre pour décrire l’évolution des espèces. L’hérédité des caractères acquis reprochée à Lamarck n’est pas absente des travaux de Darwin mais ce fait est plutôt occulté au bénéfice du mécanisme de lutte pour la survie qu’il a proposé. C’est Weismann qui a réfuté définitivement la théorie  de l’hérédité des caractères acquis. Au  XX ème siècle l’intégration des théories de l’hérédité mendélienne et de la génétique des populations à la théorie darwinienne a abouti à une synthèse au cours des années 1930-1940 à laquelle Julian Huxley a donné le nom de théorie synthétique de l’évolution appelée également Néodarwinisme. Depuis les années 70, avec l’essor de la cladistique, la classification se trouve bouleversée et, parmi les directions actuelles de la recherche sur l’évolution, celle qui est maintenant universellement connue sous le terme « évo-dévo » associe génétique du développement, embryologie, anatomie et paléontologie puis environnement. Et maintenant que sont bien établis les faits scientifiques pourquoi reprendre le problème de l’opposition Bible et Evolution ? En 2007 un certain Harun Yahya  a envoyé sans sollicitation des dizaines de milliers de copies du livre Atlas of Creation à des écoles, des instituts et des chercheurs à travers  les États-Unis et l’Europe. Cet ouvrage commente un grand nombre de fossiles de façon à prouver que l’évolution est une supercherie scientifique et que la vérité se trouve dans le Coran. En outre, l’auteur précise que « la réelle source du terrorisme est le matérialisme et le darwinisme ». En France le livre a été adressé aux professeurs des lycées et a heureusement reçu une très forte opposition avec même une offensive de l’Académie sous forme d’un memorandum. Aux Etats Unis l’opposition est moins forte, la critique scientifique moins présente. Il y a même une confusion persistante qui remonte au XVIIIème siècle : un fémur récolté en « Amérique française » a été figuré par Daubenton en 1764 comme celui d’ un éléphant qui aurait donc vécu là à l’époque préhistorique alors que la détermination actuelle l’attribue à un mammouth plus conforme à la population quaternaire de l’Amérique du Nord. Dans le Kentucky, le parc naturel de Big Bone Lick présente des dinosaures comme contemporains d’animaux vivants aujourd’hui. Non loin de là, à Petersburg,  le «Creation Museum » retrace l’histoire de l’apparition de la vie et de l’homme en suivant l’épisode biblique de la Genèse.
Est-il légitime d’associer croyances, religions et théorie scientifique ? Montaigne considérait que raison et foi appartenaient à deux différents domaines. De nos jours  des ouvrages traitent de la question comme ceux de Stephen J. Gould «  et Dieu dit : que Darwin soit »  et de Pascal Pick « Lucy et l’obscurantisme, Le monde a-t-il été créé en 7 jours». Le problème du rapport science-religion devient encore plus sensible quand il s’agit des origines de l’Homme. Marcelin Boule publie en 1921 « les hommes fossiles » ouvrage dans lequel il montre que l’homo sapiens arrive au terme du processus d’hominisation et d’évolution des primates dont il partage le statut d’animal. Pour Teilhard de Chardin, jésuite et paléontologue, l’homme apparaît dans la continuité de l’évolution biologique dans le groupe des singes, mais ses singularités soulignent la discontinuité de son émergence. Le 23 Octobre 1996, le Pape Jean-Paul II a publié une déclaration à l’Académie pontificale des Sciences dans laquelle il a approuvé l’évolution comme étant plus qu’une théorie; mais en 2000 il évoque la présence de l’intervention providentielle de Dieu.  On s’interroge sur les raisons de ce changement. En 2012, Hervé le Guyader, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie, dans « Penser l’évolution » montre que le monothéisme judéo-chrétien a désacralisé la Nature alors que les mythologies circum- méditerranéennes divinisaient l’ensemble de l’Univers. Pour le monothéisme il y a le monde des faits et le monde des idées, d’où la dichotomie entre la science et la religion. Il analyse sans complaisance les dangers du Créationnisme et de son avatar le Dessein Intelligent » (en anglais intelligent design). Apparemment non lié à une religion particulière, les tenants de cette théorie considèrent que l’étude du monde révèle des faits de nature scientifique qui suggèrent qu’il a été intelligemment conçu. Pour certains ce concepteur est Dieu. Ce point de vue n’est pas indispensable. Mais ne serait ce pas une instrumentalisation pour faire de l’anti-science ? La science a ses propres règles que des croyants peuvent partager avec les agnostiques. La science est basée sur des faits, elle analyse et organise des théories sans intervention d’un « horloger » qui n’ose dire son nom. La foi peut donner un sens à la vie, elle est différente de la quête scientifique. Qu’est ce que la vérité en science ? Qu’est-ce que la vérité en théologie ? Ce sont des registres différents qui ne seront pas développés ici.
Françoise Debrenne

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